Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/258

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Quels sont, se demandent les chercheurs, les problèmes qui méritent de fixer notre attention ? En face de cette interrogation, le parti le plus simple qu’on puisse prendre consiste évidemment à n’en prendre aucun. C’est à quoi nous amènerait le point de vue de certains physiciens dont nous avons plus haut exposé les idées. Il serait absurde, dit M. Bouasse[1] de chicaner le créateur de formes sur la valeur et la nature d’un postulat : « alors même que celui ci ne correspond à rien de réel, la forme qui en dérive n’en est pas moins intéressante et utile comme complétant le barème des formes ; rien ne dit que, dans un avenir plus ou moins éloigné, on ne lui trouve une application, c’est-à-dire des faits qui acceptent de s’y loger ». Le mathématicien, dit encore M. Bouasse, prépare à l’avance des formes qui seront utilisées par le physicien : « ces formes sont aujourd’hui connues en très grand nombre : on en a comme dévidé à l’avance les propriétés suivant un sorite par nature indéfini qui, pratiquement, peut remplir des volumes entiers ».

Oui : mais, combien de volumes ? Le nombre évidemment, n’en saurait être limité ; car on n’épuisera jamais toutes les formules qui pourraient, le cas échéant, servir aux physiciens. Faudra-t-il donc imiter ces compilateurs de la Renaissance qui amoncelaient dans d’énormes Compendia toutes les recettes qu’ils connaissaient ? En un siècle où l’on voit se multiplier et se ramifier à l’infini les voies dans lesquelles peuvent s’engager les théories, ce serait là, nous semble-t-il, une entreprise vraiment sans issue.

Aussi ne saurait-on s’étonner que le programme tracé par M. Bouasse ne soit pas accueilli avec faveur par les

  1. Loc. cit., (voir ci-dessus p. 236).