Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/276

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familiarisera l’élève avec les conditions de la démonstration, on devra lui montrer que les faits contenus dans une théorie mathématique ont une valeur et un intérêt propres, indépendamment des procédés logiques ou algébriques qui permettent de vérifier ces faits. Ainsi l’on s’efforcera de faire connaître au débutant les propriétés les plus saillantes des notions qu’étudie l’Analyse actuelle, les résultats essentiels qui permettent de comprendre le développement de la science ; et l’on n’aura crainte d’avancer ces résultats sans preuve, si la justification qu’on en pourrait donner est trop indirecte ou si elle dépasse les connaissances de l’élève. En d’autres termes, on abandonnera ce vieux préjugé pédagogique d’après lequel le professeur de mathématiques ne devrait jamais parler d’autorité et serait tenu de prouver tous ses dires par un raisonnement en forme. Quels motifs pourraient, en effet, justifier un pareil scrupule ? En physique, sans doute, il y a quelque inconvénient à énoncer comme un fait ce qui est la conséquence d’une démonstration ; car on expose l’élève à ne pas distinguer exactement, dans la théorie qu’on lui enseigne, la part de l’expérience et celle du raisonnement. Mais en mathématiques, pareil danger n’existe pas : l’élève est parfaitement averti qu’à l’exception des définitions, axiomes et postulats, tout, dans une théorie mathématique, doit être étayé par une démonstration ; rien ne nous oblige donc à le mettre à même de vérifier, dans chaque cas particulier qu’il en est bien ainsi. Peut-être, ici, va-t-on nous objecter que nous abaissons l’enseignement des Mathématiques, en l’obligeant à s’adresser à la mémoire au lieu de faire seulement appel à l’intelligence pour la conduite des démonstrations, et au bon sens pour la détermination des données premières : mais nous répondrons qu’en aucun cas, à l’heure actuelle, le bon sens