Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/64

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ainsi enfermée dans un cadre rigide, tenue en laisse dans toutes ses démarches, la science, telle que l’avaient conçue les premiers géomètres grecs, et qui paraissait ne dépendre que du libre jeu de l’intuition, ne va-t-elle pas changer profondément de caractère ? On pourrait le croire à première vue, surtout si l’on envisage la pensée scientifique dans ses rapports avec la philosophie. Il est incontestable, en effet, qu’avec M. Brunschvicg[1], il faut voir dans l’avènement de l’aristotélisme, suivant la chute du platonisme, un changement de front complet et, sous certains rapports, un arrêt de la spéculation philosophique à base scientifique. N’est-il pas alors naturel d’admettre qu’à cette révolution philosophique a pu correspondre une coupure dans l’évolution de la science ? Et n’y a-t-il pas lieu d’établir une distinction radicale entre deux périodes successivement traversées par cette dernière, la période pythagoricienne et platonicienne, la période euclidienne et post-euclidienne ?

Quelque séduisante que soit cette manière de voir, il ne nous paraît pas qu’elle soit justifiée par l’histoire. L’unité de l’œuvre mathématique des Grecs a été, croyons-nous, démontrée par Paul Tannery[2] lorsqu’il a reconnu que presque toutes les voies importantes où s’engagèrent les mathématiciens postérieurs à Aristote leur avaient été ouvertes au temps de Pythagore, de

    objet la recherche proprement dite de la solution d’un problème. Cf. les Notions historiques de Paul Tannery, apud Jules Tannery, Notions de mathématiques, p. 327 et suiv.

  1. L. Brunschvicg, Les étapes de la philosophie mathématique, p. 71 et suiv.
  2. Voir notamment P. Tannery, la Géométrie grecque, p. 5 et suiv. Cf. Rivaud, Paul Tannery, historien de la science antique, apud Revue de métaphysique, mars 1913, p. 183-184.