Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/70

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venir, car les notions mathématiques les plus importantes ne sont pas des totaux composés de parties. Il en est de ces notions comme des syllabes, qui n’admettent point comme parties les éléments (les lettres) dont elles sont formées. Les syllabes sont des touts, et qui dit « tout » ne dit point « total » ; c’est pourquoi Socrate[1] nous oblige à convenir que « la syllabe est une et indivisible aussi bien que l’élément », d’où il suit « qu’elle ne sera pas plus susceptible de définition, ni plus connaissable que lui ; car la même cause produira les mêmes effets en eux ». La même conclusion, exactement, s’applique aux notions fondamentales de la géométrie telles que l’idée du triangle : cette idée, n’étant pas un composé, a, tout autant que les notions plus simples (telles que celle de ligne droite), les caractères d’un élément irréductible révélé à notre esprit par une intuition directe. Ainsi, dans le Timée, les triangles sont les éléments initiaux auxquels Platon ramène la construction des polyèdres réguliers, et il ajoute[2] : « Quant aux principes supérieurs, qui sont ceux des triangles, Dieu les connaît, et un petit nombre d’hommes aimés de lui ».

Platon se prononce donc de la façon la plus catégorique contre toute tentative d’absorption des mathématiques par la logique. Et cependant, loin de se désintéresser de cette dernière, il fut au contraire l’un des premiers à systématiser les règles de la démonstration rigoureuse, et c’est lui, s’il faut en croire la tradition[3], qui enseigna le premier le mécanisme de l’ « analyse » et de la « synthèse ». Platon affirme d’ailleurs en termes formels que la science mathématique doit se présenter

  1. Théétète, Œuvres de Platon, trad. Cousin, t. II, p. 225.
  2. Timée, Œuvres de Platon, trad. Cousin, t. XII, p. 161.
  3. Cette tradition a été rapportée par Diogène Laërce et Proclus ; cf. P. Tannery, la Géométrie grecque, p. 111.