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COMMENT S’EST FIXÉ LE SENS DES MOTS.

Les métaphores ne restent pas enchaînées à la langue où elles ont pris naissance. Quand elles sont justes et frappantes, elles voyagent d’idiome à idiome et deviennent le patrimoine du genre humain. Il y a donc pour l’historien à faire une distinction entre les images qui, étant parfaitement simples, ont dû être trouvées en mille lieux d’une façon indépendante, et celles qui, inventées une fois en une certaine langue, ont été ensuite transmises, empruntées et adaptées. Les métaphores se traduisent, comme on le voit par des exemples tels que décider et entscheiden, découvrir et entdecken, comprendre et begreifen, succomber et unterliegen, confirmer et bestätigen[1]. Le difficile est de reconnaître chaque fois s’il y a emprunt et quel est l’emprunteur. Chez les vieilles nations de l’Europe il existe un fonds commun de métaphores qui tient à une certaine unité de culture. Les nations arrivées un peu tard au même degré de civilisation ne tardent pas à s’approprier, en les traduisant, ce stock d’expressions métaphoriques. Il serait peu équitable de le leur reprocher, car elles usent du même droit que leurs aînées, et il n’y a aucune raison pour les en exclure. Je songe en ce moment au peuple grec à qui l’on reproche de faire ce que chaque nation

  1. Sur ces imitations, dont on trouve des exemples dans toutes les langues, voir L. Duvau, dans les Mémoires de la Société de linguistique, VIII, p. 190. Un spécimen intéressant est le français compagnon, qui a son prototype dans le gothique gahlaiba (de hlaifs, « pain »).