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L’HISTOIRE DES MOTS.

appartient exclusivement à la langue latine. En général, quand l’une des langues anciennes s’éloigne, pour une idée familière, de l’usage de ses sœurs, on peut présumer qu’elle a adopté une expression métaphorique. On sait qu’opportun et importun sont pareillement des images empruntées à l’idée d’une rive d’atterrissage plus ou moins facile.

Le cheval et l’équitation ont fourni une grande quantité d’expressions figurées. Il en a été composé tout un volume. Elles peuvent se classer par époques, les plus anciennes étant déjà passées à l’état de termes décolorés. On dit, par exemple, d’un homme qui a momentanément, par un coup de surprise, perdu l’usage de ses facultés, qu’il est désarçonné ou démonté ; d’un orateur embrouillé nous disons qu’il s’enchevêtre dans ses raisonnements, le comparant à un cheval dont les jambes se prennent dans la longe de son licou (chevêtre = capistrum). Nous continuons la même comparaison d’un animal au pâturage en disant qu’il a l’air empêtré (impastoriatus) ; embarrassé serait plus poli, mais nous ramènerait à la même idée d’une barre servant d’entrave. Il y a enfin des mots dont personne ne sent plus l’origine métaphorique. Ainsi travail, qui joue un si grand rôle dans nos discussions économiques, et qu’un écrivain ou un artiste emploie couramment en parlant de ses œuvres, conduit encore à cette même image du cheval entravé et assujetti. Grâce au turf,