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LES LOIS INTELLECTUELLES DU LANGAGE.

ticulière sur ce terrain purement humain et historique, toute l’argumentation de Fénelon.

Nous avons l’habitude de faire une distinction entre le courage actif, qui va au-devant du danger pour le combattre, et le courage passif, qui consiste à supporter la mauvaise fortune avec égalité d’âme. Bien que pouvant exister chez le même homme, ce sont, au fond, deux sentiments différents, comme on peut le voir en observant où conduit l’exagération de l’un et de l’autre. Poussé trop loin, le courage actif aboutit à la témérité ; le courage passif, porté au delà de la juste mesure, dégénère en apathie.

On s’attendrait à voir le langage reproduire dès les plus anciens temps une distinction si naturelle ; mais il n’en est rien. Dans la langue d’Homère, les deux idées ont l’air de se confondre, et le même verbe τολμάω, qui veut dire « oser », signifie aussi « supporter » ; le même adjectif τλήμων, qui veut dire « patient », signifie aussi « audacieux »[1]. Après Homère, la poésie gnomique nous fournit d’autres exemples de cette confusion :

« Force est, dit un proverbe, de supporter ce que les dieux envoient aux mortels ».

Τολμᾶν χρὴ τὰ διδοῦσι θεοὶ θνητοῖσι βροτοῖσιν.

Et ailleurs :

« Sois endurante, ô mon âme, dans le malheur,

  1. Il., XX, 19 ; Od., XXIV, 162, etc.