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LOI DE RÉPARTITION.

alors même que tu souffres ce qui ne peut être enduré ».

Τόλμα, θυμὲ, κακοῖσιν, ὅμως ἄτλητα πεπονθώς[1].

C’est donc par une distinction faite après coup que l’audace (et même l’audace poussée jusqu’à la témérité et jusqu’à l’insolence) a été confiée à τολμάω et sa famille, tandis que la constance et la résignation sont devenues le partage de τάλας et τλήμων[2].

Personne aujourd’hui ne songerait à nommer du même mot deux idées aussi différentes que le plaisir des sens et le plaisir idéal causé par le sentiment tout intime de l’espérance. Cependant il y a eu un temps où la même expression servait pour les deux idées. Le grec, de cette racine, a tiré une série de mots qui expriment l’espoir : ἐλπίς, ἐλπίζω, ἔλπομαι. Le latin en a pris les mots qui marquent le plaisir : volupe, voluptas[3]. Des deux côtés, l’idée restée sans représentant a trouvé d’autres symboles : ἡδονή (de ἥδομαι « goûter » ) est devenu le nom du plaisir en grec, et spes, « la respiration, le soulagement », le nom de l’espérance en latin.

C’est ainsi qu’en remontant dans le passé, on trouve sur son chemin des conglomérats sémanti-

  1. Théognis, v. 591, 1 029.
  2. Dans les langues modernes, la racine tol, contenue en τολμάω, a servi à nommer la patience en allemand (Ge-dul-d). On la retrouve aussi dans le latin tolerare.
  3. Le verbe ἔλπω commençait par un v ou ϝ, comme on le voit par le parfait ἔολπα (pour ϝέϝολπα.)