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LA VIE DE FAMILLE

qui vivent en liberté dans les forêts sauvages. Enfin, rentrée de nouveau chez moi, je fus saisie par la crainte de ne pas fermer l’œil de la nuit et de la misérable journée qui lui succéderait. En sentant mes mains brûlantes comme si j’avais la fièvre, je me souvins de quelques pillules que mon ami Downing (il est homœopathe) m’avait données une fois, et après lesquelles je m’étais sentie merveilleusement rafraîchie. J’en mis plusieurs sur ma langue, et dormis cette nuit-là comme si je ne l’avais pas fait depuis longtemps. D’aussi bonne heure que possible, le lendemain, je suis allée chez mes connaissances de Boston leur demander un médecin homœopathe : une dame âgée promit de m’envoyer le sien. En rentrant, après une promenade, vers l’heure du dîner, je trouvai dans le petit salon un vieillard de haute taille, au visage pâle et caractéristique, front élevé, crâne chauve, cheveux gris d’argent, et une paire d’yeux bleus enfoncés pleins de sentiment et de gaieté. Silencieux et vêtu de noir, il se tenait debout au milieu de la pièce d’un air presque sacerdotal, et son regard pénétrant, sérieux, fixé sur moi. Dès ce premier moment, il m’a inspiré de la confiance. Je m’étais sentie tellement abandonnée et désemparée, sous le pouvoir de cette souffrance singulière qui paralysait mon âme et mon corps, dans un pays étranger où je n’avais d’autre appui que ma force morale et physique pour venir à bout de la tâche que je m’étais imposée, que j’allai vers ce vieillard et pris sa main entre les miennes en disant : « Venez à mon aide. » Il répliqua avec une voix de basse, en parlant lentement et comme avec peine. Ah ! mon Agathe ! je crains, en citant sa réponse, de faire preuve de vanité ; mais n’importe, qu’il en soit ainsi cette fois. Il me dit donc : « Mademoiselle Bremer, toute personne qui a lu vos Voisins ne peut manquer