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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

brillants aphorismes qui souvent se contredisent. Mais ce qu’on y retrouve toujours, la moelle et le fil de métal qui les traverse tous, c’est ce cri : « Sois loyal, sois toi-même. Alors tu seras original, tu créeras quelque chose de neuf, de complet. » Il parle ainsi aux individus et à la multitude. La force et la beauté qu’il donne à ce cri de réveil, sont probablement ce qui constitue son pouvoir proprement dit sur les esprits américains, son influence bienfaisante sur le peuple du Nouveau-Monde qui a trop de penchant à suivre les traces de l’Ancien.

Du reste, Émerson est loin de se considérer comme le modèle de l’homme parfait qu’il veut évoquer dans son pays, excepté peut-être dans sa probité. Je lui ai dit avec chaleur quelques mots sur ses poëmes et leur « caractère américain. » — « Oh ! m’a-t-il répondu avec gravité, ne soyez pas trop bienveillante : nous n’avons pas encore de poésie dont il soit possible de dire qu’elle représente la civilisation de cette partie du monde. Le poëte de l’Amérique n’est pas encore venu. Quand il viendra, il chantera tout différemment. »

Lorsqu’un critique placé si haut abaisse les yeux sur lui-même, c’est quelque chose ; on peut se laisser critiquer par lui. Sous ce rapport, Émerson est bien plus grand que notre Thorild, avec lequel il a et a mainte ressemblance.

Émerson est, pour ainsi dire, dans ce moment, la tête des transcendentalistes de cette partie de l’Amérique, sorte de gens que l’on trouve surtout dans les États de la Nouvelle-Angleterre : ce sont, il me semble, ses Mont-Blanc oùu Alpes ; ils aspirent du moins à le devenir. Mais je ne vois encore parmi eux qu’un Alpe réel appelé Waldo Émerson. Les autres me paraissent s’étendre, se poudrer pour