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LA VIE DE FAMILLE

l’autre banquette du waggon, et qui paraissait à demi amusé par les expressions de son épais interlocuteur, tout en cherchant à le calmer. Mais c’était jeter de l’huile sur le feu. « Monsieur ! s’écria le gros homme d’une voix de stentor, dans un endroit où le convoi s’était arrêté ; monsieur, je dis que sans Tom Jefferson, l’Union aurait une avance de cinq cents ans, et la Caroline du Sud de mille au moins. — Ah ! vous le croyez ? dit le militaire en souriant. — Oui, je le dis, Tom Jefferson a été le pire des hommes qui ont gouverné un peuple ; il a fait plus de mal que tous les présidents ses successeurs n’ont pu faire de bien. — Cependant il a écrit notre Déclaration d’indépendance, dit le monsieur maigre. — Il l’a volée, monsieur ! s’écria le gros homme, il l’a volée, volée, je puis vous le prouver. Il existe, » etc., etc. Maintenant vint la preuve ; il y eut discours et réponses entre les deux champions ; je ne les suivais pas bien. À la fin, le gros homme se leva vivement, s’avança vers l’autre, saisit les deux bras du siége et s’écria le visage rouge et gonflé comme s’il soufflait dans un cornet à bouquin : « Monsieur, je considère Tom Jefferson comme un composé de tout ce qu’il y a de voleur, de méchant, de vil, de traître, » etc., etc. Ce torrent d’injures dura bien trois minutes et se termina par ces mots. « Oui, je le dis, monsieur. — Ce langage est fort, reprit l’officier, toujours calme et en souriant à demi. — Monsieur ! s’écria l’autre derechef en se soulevant de son banc, Tom Jefferson, avec son embargo, a fait perdre à mon père cinquante mille dollars. » Et il s’assit rouge comme un coq d’Inde, et comme si l’on ne pouvait plus lui faire d’objection. La compagnie du waggon fut prise d’un rire général, quoique sans bruit, et lorsque l’ennemi de Tom Jefferson descendit immédiatement après, le monsieur mai-