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LA VIE DE FAMILLE

bitude de le dire. Madame Donaldson ne chante ni ne parle de mémoire, mais de son propre fonds, avec âme et sentiment. Son fils ainé, garçon de treize ans environ, m’a paru posséder un véritable génie musical, même en s’interrompant lui-même et on ne pouvant se décider à chanter jusqu’à la fin une petite chanson fantastique dont les premières notes suffisaient cependant pour faire pressentir qu’il y avait plus que du talent dans cet enfant. Lui aussi n’était pas en train.

Le lendemain amena encore des voisins qui venaient voir la Suédoise nouvellement débarquée. L’après-dîner, j’allai visiter les beaux endroits des environs. Dans l’un de ceux-ci était un promontoire avancé dans la rivière, et sur lequel on avait construit une ruine, dressé différentes statues et des fragments de colonnes trouvés parmi les objets récemment découverts dans l’Amérique centrale ou à Mexico. Les visages et les ornements de la tête les faisaient ressembler à des statues égyptiennes ; je fus surtout frappée d’une figure de sphinx et d’une tête qu’on aurait pu prendre pour celle d’un prêtre d’Isis. Cette ruine et ces ornements, placés au milieu d’un bouquet de bois sauvage, romantique, rocheux, était une création du meilleur goût. Nous quittâmes le soir Blithewood, sa charmante hôtesse, ses hôtes bienveillants, et nous retournâmes au logis de nuit. La chambre dans laquelle nous nous tenions était étouffante et fort chaude. Près de nous étaient assis deux jeunes gens dont l’un mâchait du tabac et crachait sans cesse devant les pieds de madame Downing et les miens. Je dis bas à Downing : « C’est un homme comme il faut de Dickens. » M. Downing me répondit de même : « Dickens commettrait une erreur en le prenant pour un homme comme il faut. »