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LA VIE DE FAMILLE
LETTRE V.


Rose-Cottage, 12 novembre 1849.

Enfin, enfin, une lettre de la maison, une lettre de ma mère et de toi, mon Agathe. Je l’ai portée à mes lèvres en la recevant ! J’ai appris avec bien de la peine que tu étais retombée malade, sans rime ni raison, immédiatement après ton retour des bains de Marstrand, où je t’ai vue si bien portante la dernière fois. Je cherche à me consoler en pensant que cette maladie te préservera peut-être de toute indisposition pour l’année entière.

J’en suis restée à ma visite au Phalanstère. Nous partîmes par une délicieuse matinée. L’air était jeune, il paraissait avoir quinze ans à peine ; ce n’était pas un garçon, mais une fille pleine de vie, quoique timide, — une beauté voilée. Le vent ne disait mot. Tandis que Marcus, Rebecca et moi nous attendions à Brooklyn le moment de passer sur l’autre bord, je regardai une quakresse qui se trouvait là : nez romain, visage honnête et grave. Elle me regarda à son tour, et sa figure s’éclairant tout à coup comme par le soleil, cette femme vint à moi. « Tu es mademoiselle Bremer, dit-elle. — Oui, et toi ? » Elle me dit son nom et nous nous donnâmes une poignée de main cordiale. « La lumière intérieure » l’avait éclairée de plus d’une façon, et, par une matinée de cette espèce, je me sentais disposée à tutoyer tout le monde.

Nous traversâmes la rivière ; le vent du matin commençait à souffler ; les nuages se mettaient en mouvement ; les navires à voiles et à vapeur se croisaient dans le port ; de jeunes garçons, assis dans de petits bateaux, pêchaient les