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CHAPITRE V. — LES GRANDES MAISONS RÉGNANTES.

de plus, avaient reçu l’éducation la plus complète et la plus soignée, une fois parvenus à l’âge d’homme, dégénérèrent entièrement sous l’influence d’un égoïsme sans bornes.

Marie Galéas (1466-1476), prince remarquable par des qualités tout extérieures, était fier de sa belle main, des grandes sommes qu’il payait à ses serviteurs, du crédit dont il jouissait, des deux millions de florins d’or que son trésor contenait, de son brillant entourage, de l’armée qu’il entretenait, de sa belle fauconnerie. Il aimait à s’entendre parler parce qu’il parlait bien, et jamais peut-être sa parole n’était plus abondante que lorsqu’il pouvait dire à un ambassadeur vénitien des choses blessantes[1]. Mais parfois il lui prenait de singulières fantaisies : c’est ainsi qu’il voulut, dans une seule nuit, faire peindre toute une salle à fresque. Il eut aussi d’horribles accès de cruauté, frappa quelques-uns de ses propres parents et se livra à de monstrueux excès. Quelques exaltés, à la téte desquels était Jean-André de Lampuguauo, trouvèrent qu’il avait tous les défauts d’un tyran ; ils le tuèrent [2] et livrèrent l’État aux mains de ses frères, dont

  1. Malipiero, Ann. Veneti, Archiv. stor., VII, I, p. 216 ss et 221-224
  2. On trouve sur le meurtre de Marie-Galéas Sforza des documents remarquables, rédigés par G. d’Adda, dans l’Archivio storico lombardo giornale della società Slorica lombarda, vol. II (1875) pp. 284-294 : 1o une épitaphe latine du meurtrier Lampugano, qui perdit la vie en exécutant son projet, et à qui l’auteur fait dire : Hic lubens quiesco, œternum inquam facinus monumentumve ducibus, principibus, regibus qui modo sunt quique mox futura trahantur ne quid adversus justitiam faciant dicantve ; 2o Une lettre latine de Domenico de’Belli, enfant de onze ans, qui était présent au meurtre ; 3o le Lamento de Marie-Galéas, dans lequel, après avoir invoqué la Vierge Marie et raconté le crime dont il a été victime, il provoque les plaintes de sa femme et de ses enfants, de ses fonctionnaires et des villes italiennes, qu’il nomme les unes après les autres et adresse ses soupirs à tous les peuples de l’univers, même aux neuf Muses et aux dieux de l’antiquité, afin d’attirer sur íes meurtriers les malédictions de toute la terre.