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CHAPITRE VI. — LES ADVERSAIRES DE LA TYRANNIE.

s’assurer aussitôt la liberté, ou bien leur pensée n’allait pas même aussi loin, et ils voulaient simplernent donner satisfaction à la haine générale, venger une famille plongée dans le malheur ou punir une offense personnelle. De même que la domination du souverain est absolue et placée au-dessus des lois, de même le moyen dont se servent ses adversaires n’est subordonné à aucune considération morale, Boccace le dit ouvertement[1] : « Dois-je donner au despote le nom de prince ou de roi et lui obéir comme à un supérieur ? Non, car il est Tennemi commun. Contre lui je puis employer les armes, les conspirations, les espions, le guet-apens, la ruse ; car il s’agit d’une œuvre sacrée, nécessaire. Il n’y a pas de sacrifice plus agréable que le sang des tyrans. » Ici nous ne pouvons pas nous arrêter aux détails ; disons seulement que, dans un chapitre célèbre de ses discours[2], Machiavel a traité la question des conjurations antiques et modernes à partir de l’époque des tyrans grecs de l’antiquité, et qu’il les a jugées froidement, d’après les plans suivis par leurs auteurs et leurs chances de succès. Qu’on nous permette seulement deux observations, l’une portant sur les meurtres accomplis pendant le service divin, l’autre sur l’influence de l’antiquité. Il était presque impossible d’atteindre le tyran au milieu de ses gardes et de le frapper, sinon quand il se

  1. De casibus virorum illustrium, I, II, cap. XV.
  2. Discorsi, III, 6. Il fait allusion à cette description dans les Storie fior., L, VIII, cap. i. Les Italiens ont aimé de très-bonne heure les récits de conjurations. Luidprand (de crémone, Mon. Germ., 3s 111,264-365) traite des sujets de ce genre,en donnantpius de détails qu aucun antre écrivain du dixième siècle ; au onzième siècle, nous trouvons (dans Balus. Miscell., i, p. 184) l’histoire de Messine délivrée des Sarrasins par le Normand Roger qu’elle a appelé à son secours ; c’est, dans ce genre, une œuvre caractéristique (1060), sans parler du récit dramatique des Vêpres siciliennes (1282).