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vaient ramener les canots d’écorce avec lesquels nous allions gagner l’autre bord du lac, j’achetai vingt frasilahs de verroterie à cinquante dollars la frasilah : un prix très élevé ; mais c’était le cas de dire avec le proverbe : « Donne ce qu’on te demande ou abandonne ton œuvre. »

Si je n’avais pas été pillé, je n’aurais pas eu besoin de faire ces achats ; mais les vols dont j’avais été victime, et le non-arrivage des perles que j’avais laissées derrière moi, les rendaient nécessaires.

Une fois sur l’autre rive, j’avais l’intention — métaphoriquement parlant — de brûler mes bateaux, de manière à détruire tout espoir de retour.

Plusieurs de mes gens se prétendirent trop malades pour se mettre en route ; le fait est qu’ils avaient peur du voyage ; ces timides reçurent leur congé.

Toute la bande semblait vouloir employer en orgies les derniers jours qu’elle passait à Kahouélé. Un soir, Bombay revenant de l’une de ces débauches, et découvrant que de son côté Mme Bombay arrivait d’une partie fine, essaya d’une correction dont le résultat eut pour moi beaucoup de ressemblance avec celui qui fut produit par Artémus Ward : dans la lutte, le couple renversa une caisse de sinngo-mazzis, grains de verre opalin, de la grosseur d’un œuf de pigeon ; la plupart de ces perles furent étoilées ou craquelées et n’eurent plus aucune valeur.

Quelques autres de mes vauriens enlevèrent tout le calfatage des pirogues, afin d’éloigner le départ. Le radoub de ces canots qui aurait pu se faire en un jour, en prit quatre ; et lorsque les bateaux furent prêts, les Vouadjidji qui devaient les ramener avaient disparu.

Bombay, qui n’était pas le « démon » de Stanley, mais encore moins « l’ange » du colonel Grant, se disputait sans cesse avec Mohammed Mélim, dont il était jaloux comme il l’avait été d’Issa. Il l’accusait faussement, dans l’espoir d’obtenir son renvoi, et c’est lui que j’aurais congédié, si j’avais pu le faire sans voir partir un certain nombre des gens de l’escorte. Voulant enfin avoir la paix, je confiai à Mohammed la caisse de Livingstone, ainsi que mon journal, avec mission de les porter à Zanzibar, et je choisis pour domestique et pour factotum Djoumah Vouadi Nassib, qui fut un serviteur d’un prix inestimable.

Par suite de tous ces ennuis, ce ne fut que le 22 mai que je