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un individu partait ; et, en vingt minutes, les deux mille qui étaient là avaient disparu[1].

Tous les jours, ces réunions avaient lieu sur quelque terrain neutre. La guerre, qui se fait constamment de village à village est suspendue pendant toute la durée du marché ; et vendeurs et acheteurs allaient et venaient librement de chez eux au lieu du rendez-vous, et de celui-ci chez eux.

Excepté à Nyanngoué, ces réunions mercantiles se faisaient en lieu désert. À Nyanngoué même, on ne trouvait que les demeures des traitants, avec leurs dépendances : magasins, cases des esclaves et des porteurs ; et c’était principalement à cause du marché que la station avait été fondée là.

Les chefs du voisinage ne manquaient pas de venir à l’assemblée ; on les voyait flâner autour des vérandas, parlant du prix de l’ivoire, de celui des chèvres et des esclaves.

J’employais tous les moyens possibles pour décider les gens à me céder leurs canots, mais inutilement.

« Les Vouaghénya, me répondit un vieillard dont je m’efforçais d’obtenir l’appui, n’ont jamais retiré de bien de la venue des étrangers ; et je leur conseillerai de ne pas vendre, de ne pas louer un seul canot à l’homme blanc. S’il agissait comme les autres, ce serait un nouveau maître pour les Vouaghénya, un maître cruel ; et alors même qu’il serait bon, il ouvrirait une nouvelle route aux marchands d’hommes et aux voleurs. »

Quelques-uns me dirent qu’ils m’amèneraient des canots si je voulais les payer en esclaves. Je répondis que je ne tenais pas cette marchandise ; que les Anglais ne reconnaissaient l’esclavage sous aucune forme ; que, pour eux, tous les hommes étaient libres ; et que si ma reine apprenait que j’eusse participé le moins du monde à la traite de mon semblable, je me trouverais à mon retour dans la plus mauvaise position.

Plusieurs chefs acceptèrent de recevoir en cauris la valeur des esclaves demandés ; mais un seul d’entre eux se le rappela ; et quand je lui eus compté les coquilles, payées l’équivalent de trois ou quatre pence (trente ou quarante centimes) chacune, il me fit observer que s’il portait dans sa maison une telle quantité de cauris, ses épouses ne manqueraient pas de le savoir, qu’elles

  1. Voyez pour plus de détails sur ces marchés intéressants le Dernier Journal de Livingstone, vol. II, p. 130, 135, 145, 146. (Note du traducteur.)