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166 GÉRARD DE NERVAL critiques, de Gérard tout court. Je me rappelle quelle sin- gulière dissonance je sentais dans ma plume, quand, pu- bliant, au National, en 1850, une critique des Scènes de la vie orientale, j’avais à analyser les actions de l’auteur en disant : ,1/. de Nerval fît telle chose , M. de Nerval s’embarque, M. de Nerval court les rues. Un humoriste ne peut s’appeler M. de Nerval. Il semble qu’on a affaire à un personnage d’un roman de madame de Genlis ? Comment un M. de Nerval peut-il avoir des aventures humoristiques en voyage? Gérard, à la bonne heure! C’est un prénom simple qui se prête à tout, à la sen- sibilité, au comique, à l’imprévu; mais M. de Nerval! je le vois en pantalon collant, en spencer, en bottes molles et le caractère à l’avenant. Ce sont peut-être des raisons minuscules, d’une im- portance chétive pour ceux qui ne connaissent pas l’in- fluence merveilleuse des noms sur les personnages des livres ; mais j’ai derrière moi trois grands écrivains : Sterne, Bernardin de Saint-Pierre et Balzac qui ont traité de cetie question avec autorité. Et un exemple vient de m’en tomber sous la main. Un jeune romancier qui dé- bute m’envoie un livre dans lequel je lis ce simple pas- sare : « L’ancholie a repris le dessus, et j’ai rouvert mon Nerval... » En une phrase, voilà un jeune homme jugé ! Son ancholie peut donner la main à Nerval : le mot et le nom feront bon ménage ensemble. Il était si facile, l’au- teur des Filles du feu étant mort, de l’appeler Gérard tout court, ainsi que l’appellera la postérité. Si ce jeune homme avait le sentiment des noms, il ne se fût pas servi du mot maniéré d’ancholie, qui n’a pas sa raison d’être, puisque nous possédons l’admirable mot de me’-