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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

été une des femmes les plus agréables de son siècle : l’abbé Carron a écrit sa vie[1]. Ces apôtres qui vont partout à la recherche des âmes ressentent pour elles l’amour qu’un Père de l’Église attribue au Créateur : « Quand une âme arrive au ciel, » dit ce Père, avec la simplicité de cœur d’un chrétien primitif et la naïveté du génie grec, « Dieu la prend sur ses genoux et l’appelle sa fille ».

Lucile a laissé une poignante lamentation : À la sœur que je n’ai plus. L’admiration de l’abbé Carron pour Julie explique et justifie les paroles de Lucile. Le récit du saint prêtre montre aussi que j’ai dit vrai dans la préface du Génie du christianisme, et sert de preuve à quelques parties de mes Mémoires.

Julie innocente se livra aux mains du repentir ; elle consacra les trésors de ses austérités au rachat de ses frères ; et, à l’exemple de l’illustre Africaine sa patronne, elle se fit martyre.

L’abbé Carron, l’auteur de la Vie des Justes, est cet ecclésiastique mon compatriote, le François de Paule de l’exil[2], dont la renommée, révélée par les affligés,

  1. J’ai placé la vie de ma sœur Julie au supplément de ces Mémoires. (Note B.) — Ch.
  2. L’abbé Carron (Guy-Toussaint-Joseph), né à Rennes le 25 février 1760. Réfugié en Angleterre après le 10 Août, il fonda à Somers-Town, près Londres, plusieurs établissements charitables, et notamment deux maisons d’éducation destinées à recevoir les enfants des émigrés pauvres. À la première Restauration il fut invité par Louis XVIII à revenir à Paris, amenant avec lui ses élèves et les dames qui s’étaient consacrées, sous sa direction, à cette œuvre de dévouement. L’Institut des nobles orphelines — tel fut alors le titre que prit l’établissement de l’abbé Carron — fut installé rue du faubourg Saint-Jacques, au no 12 de l’impasse des Feuillantines. Le retour de l’île d’Elbe obligea le saint prêtre à reprendre le chemin de l’exil ; il se