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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Cette ordonnance était écrite de la main de M. de Rainneville[1], assez bon pour en être encore embarrassé devant moi. Eh ! mon Dieu ! est-ce que je connais M. de Rainneville ? Est-ce que j’ai jamais songé à lui ? Je le rencontre assez souvent. S’est-il jamais aperçu que je savais que l’ordonnance qui m’avait rayé de la liste des ministres était écrite de sa main[2] ?

Et pourtant qu’avais-je fait ? Où étaient mes intrigues et mon ambition ? Avais-je désiré la place de M. de Villèle en allant seul et caché me promener au fond du bois de Boulogne ? Ce fut cette vie étrange qui me perdit. J’avais la simplicité de rester tel que le ciel m’avait fait, et, parce que je n’avais envie de rien, on crut que je voulais tout. Aujourd’hui, je conçois très bien que ma vie à part était une grande faute. Comment ! vous ne voulez rien être ? Allez-vous-en ! Nous ne voulons pas qu’un homme méprise ce que nous adorons, et qu’il se croie en droit d’insulter à la médiocrité de notre vie.

Les embarras de la richesse et les inconvénients de la misère me suivirent dans mon logement de la rue de l’Université : le jour de mon congé, j’avais au ministère un immense dîner prié ; il me fallut envoyer des excuses aux convives, et faire replier dans ma

  1. Alphonse-Valentin Vaysse, vicomte de Rainneville (1798-1864). Il était en 1824 maître des requêtes, directeur des bureaux près le ministre des finances, et l’un des plus habiles collaborateurs de M. de Villèle, qui ne tarda pas à en faire un conseiller d’État. Député de la Loire, de 1846 à 1848, il fit une opposition modérée au ministère Guizot, et quitta la vie politique à la révolution de février.
  2. Voir l’Appendice no VII : Le renvoi de Chateaubriand.