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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

lieux où l’on avait inventé son image. On a de madame Récamier une esquisse par David, un portrait en pied par Gérard, un buste par Canova. Le portrait est le chef-d’œuvre de Gérard ; mais il ne me plaît pas, parce que j’y reconnais les traits sans y reconnaître l’expression du modèle.

La veille du départ de madame Récamier, le prince de Galles et la duchesse de Devonshire lui demandèrent de les recevoir et d’amener chez elle quelques personnes de leur société. On fit de la musique. Elle joua avec le chevalier Marin, premier harpiste de cette époque, des variations sur un thème de Mozart. Cette soirée fut citée dans les feuilles publiques comme un concert que la belle étrangère avait donné en partant au prince de Galles.

Le lendemain elle s’embarqua pour La Haye, et mit trois jours à faire une traversée de seize heures. Elle m’a raconté que, pendant ces jours mêlés de tempêtes, elle lut de suite le Génie du christianisme ; je lui fus révélé, selon sa bienveillante expression : je reconnais là cette bonté que les vents et la mer ont toujours eue pour moi.

Près de La Haye, elle visita le château du prince d’Orange[1]. Ce prince, lui ayant fait promettre d’aller voir cette demeure, lui écrivit plusieurs lettres dans lesquelles il parle de ses revers et de l’espoir de les vaincre : Guillaume Ier est en effet devenu monarque ; en ce temps-là on intriguait pour être roi comme aujourd’hui pour être député ; et ces candidats à la

  1. Sur le prince d’Orange, voir, au tome III, la note 1 de la page 206 (note 179 du Livre Premier de la Troisième Partie).