Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/90

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la vertu y conserve et y montre sa puissance active, selon que Paul a dit : « Je sais vivre dans l’abondance, ou souffrir la disette ». (Phi. 4,12) Fallait-il travailler ? Il n’en rougissait pas, et pendant deux ans il fit son humble métier. Supporter la faim ? On ne le voyait ni succomber, ni même chanceler. Mourir même ? Son courage ne faiblissait pas ; il montrait partout son art, sa fermeté dans la vertu.

Imitons-le, et nous n’aurons plus aucun sujet de tristesse. Car quel chagrin pouvait arriver à la hauteur d’un tel homme ? Aucun sans doute. Et nous aussi, tant que la vertu ne nous sera point ravie, notre bonheur surpassera tout bonheur humain, non pas dans tel cas donné, mais dans tous les cas possibles. Donnez-moi un homme vertueux ; qu’il ait une femme, des enfants, de l’argent, qu’il soit environné de gloire, il gardera, au sein de cette félicité multiple, la vertu toujours. Qu’on l’en dépouille, sa vertu demeure en exercice, ses malheurs ne l’accablent pas plus que ne l’enflaient ses prospérités ; pareil à un rocher au sein des mers, que l’onde se gonfle ou qu’elle se calme, l’immobilité est sa nature, la vague ne peut le briser, ni le calme l’user ; ainsi l’âme solide demeure inébranlable aux flots irrités comme aux eaux paisibles. Et comme de pauvres enfants sur un navire facilement se troublent, tandis que le pilote reste assis, souriant et tranquille, s’amusant même de leur épouvante ; ainsi l’âme du vrai sage, lorsque les autres tour à tour, selon les vicissitudes du siècle, se troublent ou se livrent à des rires insensés, demeure assise et calme auprès du gouvernail de la religion et de la piété. Quelle cause, en effet, dites-moi, pourrait troubler l’âme pieuse ? La mort ? mais elle est le commencement d’une vie meilleure. La pauvreté ? mais elle n’est qu’un mobile de plus dans la voie de la vertu. La maladie ? Mais elle compte pour rien la vie présente ; et que parlé-je de la maladie ? elle met sur la même ligne les joies et les souffrances ; elle a même pris les devants, elle s’est mortifiée. Craindrait-elle l’infamie ? mais le monde est crucifié pour elle. La perte de ses enfants ? mais elle est sans peur, elle a foi en la Résurrection. Qui pourrait donc l’ébranler ? Rien, absolument rien. — Mais les richesses donnent de l’orgueil ? Non, car elle sait que l’argent n’est rien. Mais la gloire ? elle est instruite à une école qui proclame que toute la gloire de l’homme est comme la fleur de l’herbe des champs. (Isa. 40,6) Mais les délices ? Elle a entendu cette leçon de Paul : « Vivre dans les délices, c’est être mort ». (1Ti. 5,6) Ainsi incapable de s’enfler ni de s’abattre, qu’est-ce qui pourrait égaler la solidité de cette âme ?

Telles ne sont pas tant d’autres âmes qui, au contraire, changent plus souvent que la mer ou le caméléon. Oh ! que leur manière d’être prête à rire, quand on voit la même personne tour à tour riant ou pleurant, inquiète ou plongée dans la dissolution et la joie ! Aussi Paul nous recommande de ne pas « nous conformer à ce siècle » présent. Déjà nous vivons dans le ciel, nous sommes déjà les citoyens d’un monde où rien ne change des récompenses immuables nous sont promises. Embrassons ce noble genre de vie, recueillons-en dès maintenant les biens inappréciables. Pourquoi nous jeter nous-mêmes dans l’Euripe, au milieu des vagues, des tempêtes, des tourbillons ? Embrassons ce calme bienheureux, qui ne dépend des richesses ni de la pauvreté, du bon ni du mauvais renom, de la maladie ni de la santé, ni d’aucune infirmité, mais de notre propre cœur. Qu’il soit solide, lui, et formé à l’école de la vertu, tout lui sera facile dès lors ; déjà il apercevra dans l’avenir le repos et le port tranquille, et après le départ enfin, il trouvera des biens infinis. Puissions-nous les gagner tous par la grâce et bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel soit au Père et au Fils, gloire, empire et honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.