imperceptibles, beaucoup plus déliées que les éléments de l’eau, des nuages et de la fumée[1]. Or, si l’onde s’échappe de toutes parts d’un vase mis en pièces, si les nuages et la fumée se dissipent dans les airs, crois que l’âme, séparée des membres, s’évapore de même après sa retraite, que sa substance périt encore plus promptement, que ses principes se dissolvent en beaucoup moins de temps. Et quand le corps, qui est, pour ainsi dire, le vaisseau de l’âme, décomposé par une attaque mortelle ou raréfié par la perte du sang, n’est plus capable d’arrêter sa fuite, sera-t-elle retenue par l’air, fluide moins dense et plus facile à pénétrer ?
D’ailleurs, nous la voyons naître avec le corps, croitre et vieillir avec lui. Dans l’enfance, une machine frêle et délicate sert de berceau à un esprit aussi faible qu’elle. L’âge, en fortifiant les membres, mûrit aussi l’intelligence et augmente la vigueur de l’âme. Ensuite, quand l’effort puissant des années a courbé le corps, émoussé les organes et épuisé les forces, le jugement chancelle et l’esprit s’embarrasse comme la langue : tout manque et fait défaut à la fois. Il est donc naturel que l’âme se décompose aussi et se dissipe comme une fumée dans les airs, puisque nous la voyons, comme le corps, naître, s’accroître et succomber à la fatigue des ans.
De plus l’esprit, étant tourmenté par les soucis, la tristesse et l’effroi, comme le corps par la douleur et la maladie, doit comme lui participer à la mort.
Souvent, même dans les maladies du corps, la raison s’égare, la démence et le délire s’emparent de l’âme. Quelquefois une violente léthargie la plonge dans un assoupissement profond et éternel ; les yeux se ferment, la tête tombe. Le malade n’entend point la voix, ne reconnaît point les traits de ceux qui l’entourent, et qui s’efforcent, en versant des larmes, de le rappeler à la vie. Puisque la contagion du mal gagne ainsi l’âme, il faut donc en conclure qu’elle est aussi sujette à la dissolution ; ex une expérience souvent répétée nous apprend que la douleur et la maladie sont les deux ministres de la mort.
Enfin, lorsque le vin, cette liqueur active, s’est rendu maitre de l’homme et a fait couler son feu dans ses veines
- ↑ Pétition de principe sur laquelle repose l’argumentation qui va suivre.