leur nourriture et de leur défense ? Enchainés par le malheur de leur destinée, il fallait qu’ils servissent de proie aux autres animaux, jusqu’à ce que la nature eût entièrement détruit leurs espèces.
Les hommes de ce temps étaient beaucoup plus vigoureux que ceux d’aujourd’hui, parce que la terre, dont ils étaient les enfants, avait alors toute sa vigueur : la charpente de leurs os était plus vaste, plus solide, et le tissu de leurs nerfs et de leurs viscères plus robuste ; ils n’étaient facilement affectés ni par le froid, ni par le chaud, ni par la nouveauté des aliments, ni par les attaques de la maladie. Ils survivaient à la révolution d’un grand nombre de lustres, errants par troupeaux, comme les bêtes. Personne ne savait encore parmi eux conduire la pénible charrue ; ils ignoraient l’art de dompter les champs avec le fer, de confier de jeunes arbustes au sein de la terre, et de trancher avec la faux les vieux rameaux des grands arbres. Ce que le soleil et la pluie leur donnaient, ce que la terre produisait d’elle-même, suffisait pour apaiser leur faim. Les fleuves et les fontaines les invitaient à se désaltérer, conne aujourd’hui les torrents qui roulent du haut des monts semblent avertir au loin les bêtes féroces de venir y apaiser leur soif. La nuit, ils se reliraient dans les bois consacrés depuis aux Nymphes, dans ces asiles solitaires d’où sortaient des sources d’eaux vives.
Ils ne savaient pas encore traiter les métaux par le feu ; ils ne connaissaient point l’usage des peaux, ni l’art de se revêtir de la dépouille des bêtes féroces. Les bois, les forêts et les cavités des montagnes étaient leur demeure ordinaire : forcés de chercher un asile contre les pluies et la fureur des vents, ils allaient se blottir parmi des broussailles. Incapables de s’occuper du bien commun, ils n’avaient institué entre eux ni lois ni rapports moraux. Chacun s’emparait du premier butin que lui offrait le hasard ; la nature ne leur avait appris à vivre et à se conserver que pour eux-mêmes…