ceux dont les habitations se touchaient commencèrent à former entre eux des liaisons, convinrent de s’abstenir de l’injustice et de la violence, de protéger réciproquement les femmes et les enfants, faisant entendre dès lors même par leurs gestes et leurs sons inarticulés que la pitié est une justice due à la faiblesse. Cependant cet accord ne pouvait pas être général ; mais le plus grand nombre et les plus raisonnables observèrent fidèlement les lois établies ; sans cela le genre humain aurait été entièrement détruit et n’aurait pu se propager de race en race jusqu’à nos jours.
La nature apprit ensuite aux hommes à varier les inflexions de leurs voix, et le besoin assigna des noms à chaque chose : ainsi l’impuissance de se faire entendre par des bégayements inarticulés force les enfants à recourir aux gestes, en indiquant du doigt les objets présents. Car chacun a la conscience des facultés dont il peut faire usage : le taureau menace et frappe déjà des cornes avant qu’elles commencent à poindre sur son front ; les nourrissons de la panthère et de la lionne se défendent avec leurs griffes, leurs pieds et leurs dents avant même d’en avoir ; enfin nous voyons tous les petits des oiseaux se confier à leurs ailes naissantes et s’aider dans les airs d’un vol chancelant.
Penser qu’alors un seul homme imposa des noms aux objets et que les autres hommes apprirent de lui les premiers mots, c’est le comble de la folie ; car, si les autres hommes n’avaient pas encore fait usage de paroles entre eux, comment en connaissait-on l’utilité ? comment ce premier inventeur a-t-il pu faire entendre et adopter son projet ?
Enfin, est-il donc si surprenant que, avec une voix et une langue, les hommes, suivant qu’ils étaient affectés des différents objets, les aient désignés par des paroles, quand nous voyons les animaux domestiques et les bêtes sauvages elles-mêmes faire entendre des sons différents, selon que la crainte, la douleur ou la joie se succèdent dans leurs âmes ? C’est ce que l’expérience nous montre clairement. Quand l’énorme chienne des Molosses, dans le premier accès de sa fureur, montre sous ses lèvres mobiles et retirées deux redoutables rangées de dents, le son menaçant de sa voix diffère de celui qu’on entend lorsqu’elle fait retentir tous les lieux d’alentour de ses longs aboiements. Mais quand elle façonne de sa langue caressante les jeunes membres de ses petits, quand