grande volupté la privation de la douleur. Or comme, du moment que nous ne sentons aucune douleur, nous avons de la joie, et comme tout ce qui donne de la joie est volupté, ainsi que tout ce qui blesse est douleur, c’est avec raison que la privation de toute sorte de douleur est appelée volupté. Si, lorsqu’on a chassé la soif et la faim par le boire et le manger, c’est une volupté de ne plus sentir de besoin, c’en est une aussi dans toutes les autres choses que de n’avoir aucune douleur. C’est pourquoi Épicure n’a voulu admettre aucun milieu entre la douleur et la volupté ; et ce que quelques-uns ont regardé comme un milieu entre l’une et l’autre, je veux dire la privation de toute douleur, il l’a regardé, lui, non-seulement comme une volupté, mais comme une extrême volupté, soutenant que la privation de toute douleur est le dernier terme où puisse aller la volupté, qui peut bien être diversifiée en plusieurs manières, mais qui ne peut jamais être augmentée et agrandie.
Je me souviens d’avoir ouï dire à mon père, qui se moquait agréablement des stoïciens, qu’à Athènes, dans le Céramique, il y a une statue de Chrysippe assis, qui avance la main, parce qu’il avait coutume de l’avancer quand il voulait faire quelque question. Votre main, dans l’attitude où elle est, disait un stoïcien, désire-t-elle quelque chose ? Non, sans doute. Mais, si la volupté était un bien, ne la désirerait-elle pas ? Je le crois. La volupté n’est donc pas un bien. La statue, disait mon père, si elle avait pu parler, n’aurait pas parlé de la sorte ; et cette conclusion ne porte que contre Aristippe et contre les cyrénaïques, nullement contre Épicure. Car, s’il n’y avait de volupté que celle qui chatouille les sens et qui excite une titillation agréable, la