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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 9.djvu/169

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XIII.

Les Européens modernes ont trouvé le moyen de se mettre à l’abri du despotisme de l’armée, en la divisant en régiments, en la distribuant dans un grand nombre de garnisons, en ne donnant point de chefs perpétuels aux divisions formées de plusieurs régiments. Aussi, depuis cette institution, aucune armée n’a-t-elle ni troublé la tranquillité de l’État, ni exercé aucun despotisme, soit sur le prince, chef de l’armée, soit sur les citoyens. Il faut excepter la Russie, où les régiments des gardes ont trop de prépondérance ; et il faudrait peut-être excepter aussi la Prusse, si la garnison de la résidence royale reste très forte, et que le roi ne soit pas un homme de guerre. Le seul moyen d’exposer les États de l’Europe à ce despotisme de l’armée, auquel les autres parties de l’ancien monde sont assujetties, et qui y empêche les progrès de la civilisation, serait de dégoûter les troupes de l’obéissance passive à leurs chefs, obéissance qui ne doit avoir pour bornes que le droit naturel et une loi positive, et d’inspirer aux chefs, aux officiers des corps et, par une suite nécessaire, aux soldats, l’idée qu’ils peuvent se rendre juges de la légitimité des ordres qu’ils reçoivent. L’obéissance passive est dangereuse pour la liberté publique ; le refus arbitraire d’obéissance le deviendrait davantage. Pour éviter à la fois l’un et l’autre de ces maux, il faut régler par une loi les limites du pouvoir militaire, employé à maintenir la tranquillité