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réflexions

peuple avait en général élu ses représentants sans les connaître, où la moitié d’entre eux avait été nommée par des hommes qu’il regardait comme ses ennemis, où les paysans se défiaient de leurs seigneurs, les bourgeois de leurs officiers municipaux et de leurs juges ; où les citoyens des classes les plus nombreuses ne connaissaient pas même de vue le petit nombre des hommes éclairés qui avaient défendu la cause populaire, n’entendaient pas leurs ouvrages qui n’avaient pas été écrits pour eux, il était naturel que le peuple se livrât à la défiance, et qu’ignorant tout, il voulût tout juger par lui-même[1].

On lui avait rappelé ses droits, et il avait évidemment saisi ces vérités premières, qui d’ailleurs le flattaient ; mais il devait s’égarer dans les conséquences, et une de ses erreurs devait être que chaque ville ne voyant qu’elle, ne connaissant qu’elle, s’arrogeât une sorte d’indépendance, voulût faire des lois pour elle seule, exercer un pouvoir illimité partout où elle se trouvait la plus forte.

C’est donc au milieu de l’anarchie que l’assemblée a travaillé jusqu’ici, et il faut, en achevant son ou-

  1. Le mot Peuple signifie, dans le sens propre, la totalité des citoyens qui n’ont ni d’autres fonctions publiques, ni d’autres litres. Dans un sens plus étendu, il signifie cette même totalité, moins une classe peu nombreuse qu’on en sépare. Ainsi, le mot Peuple signifie ceux qui ne sont pas nobles dans un pays où la noblesse a des prérogatives, signifie les simples citoyens, dans un pays où l’égalité règne ; signifie ceux qui ne sont pas sénateurs, dans un pays où il existe un sénat héréditaire, et signifie aussi, partout, la classe des citoyens privés des avantages de l’éducation et de la possibilité d’acquérir des lumières.