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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/495

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NOUVELLES LITTÉRAIRES.

rôles, celui de Titus dans la tragédie de Brutus et celui de Rhadamiste dans la pièce de ce nom. Tout Paris a pris parti pour ou contre dans cette occasion, et s’est passionné pour cet acteur, comme on se passionnait autrefois à Rome pour les pantomimes. Je suis convaincu que quand les fureurs de parti seront calmées, le public trouvera que ce jeune homme a de l’intelligence, des entrailles, un jeu muet admirable, et de beaux bras ; malheureusement, sa figure est ignoble, sa voix extrêmement faible, et d’ailleurs il est maniéré. Je crois qu’on ne le retiendra pas ici, et qu’il pourra bien aller en Allemagne.

— L’ambassadrice de Hollande a été si touchée de la manière dont elle a vu rendre le rôle de Mérope par Mlle Dumesnil, la meilleure de nos actrices, qu’elle lui a fait présent d’un habit de théâtre le plus galant, le plus agréable et en même temps le plus décent que nous ayons vu depuis longtemps.

— Nous avons perdu, mardi dernier, l’abbé Terrasson, membre de l’Académie des sciences et de l’Académie française. Il y avait trois mois qu’il languissait et qu’il était tombé dans l’enfance. Cet écrivain s’était fait connaître dans le monde en se mêlant de la dispute de Mme Dacier et de M. de La Motte sur les anciens. Sa dissertation sur l’Iliade est d’un homme qui a beaucoup d’esprit et peu de sentiment, d’un raisonneur plus que d’un homme de goût, d’un critique qui aperçoit mieux les défauts d’un ouvrage qu’il n’est sensible à ses beautés. En écrivant sur ces matières, l’abbé Terrasson prit si fort en aversion les auteurs anciens, qu’il a passé la meilleure partie de sa vie à traduire Diodore de Sicile pour prouver, disait-il, que ces anciens, qu’on admire tant, étaient des radoteurs. Outre ces deux ouvrages, il a fait un roman intitulé Sethos, où l’esprit, l’érudition et l’ennui se trouvent à un degré à peu près égal. La même année que l’académicien donna son roman, qui fut bafoué, Rollin publia sa Manière d’étudier et d’enseigner les belles-lettres, qui réussit parfaitement. On dit à ce propos qu’un homme d’esprit venait de faire un mauvais livre, et un sot un bon livre. L’abbé Terrasson était l’homme le plus simple, le plus vrai, le plus modeste, et en même temps le plus vertueux qu’on pût voir. Ce caractère lui faisait passer son athéisme, qu’il ne prenait pas la peine de dissimuler. « Ces petits messieurs, disait-il en parlant des philosophes, ont besoin d’un premier être, je