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SOUVENIRS

rivières de jayet mêlé d’acier bronzé, tout cela du plus riche et du plus brillant. Elle était environnée d’un essaim de jolis Messieurs, des Abbés, des Mousquetaires et des Conseillers et des Pages, et panachant sur le tout un jeune et beau Prince allemand qui lui donnait la main. (Vous verrez bientôt la mémorable et funeste aventure de ce malheureux étranger qui s’appelait le Comte Antoine de Horn.) Le valet qui portait la robe de cette belle Dame était en livrée d’argent sous cramoisi, ce dont j’avais une idée confuse, et la voilà qui vient s’installer avec tous ses jouvenceaux, précisément à côté de nous sur des chaises de velours et des plians galonnés que lui gardait un gros garçon-rouge de la maison d’Orléans. Elle avait passé devant nous sans nous saluer ; ma grand’mère et M. de Créquy n’avaient pas eu l’air de l’apercevoir, et ceci n’empêcha pas mes cousines et moi de l’envisager ou la dévisager à qui mieux mieux. — Dites-moi donc qui c’est ? demandai-je à M. de Créquy. — C’est une femme de qualité qu’on n’ose pas nommer devant ses parens, me répondit-il à voix haute. Il se fit un profond silence, et puis la belle dame se mit à dire à un de ces jeunes gens qui venait de lui parler à l’oreille : — C’est, je crois bien, M. Paintendre ; ce qu’elle dit en souriant d’un air moqueur et en regardant M. de Créquy. Il est à savoir que ce M. Paintendre était un Écuyer porte-manteau de M. le Duc de Chartres et qu’il avait effectivement un faux air de mon mari, ce qui Lui donnait une vanité singulière, tandis que votre grand-père en éprouvait une espèce de contrariété qui me paraissait divertissante. Cette malicieuse