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Page:Créquy - Souvenirs, tome 4.djvu/10

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SOUVENIRS

ver de sa terre de Chilly, qui n’est qu’à sept ou huit lieues du quai Malaquais, un troupeau de moutons avec un chien de berger, et, qui plus est, une génisse qui passait dans son pays pour être la douceur même. Il avait été convenu qu’on ferait défiler tranquillement tout ce bétail, en bon ordre, et, derrière la glace avant de commencer les danses pastorales, et c’était pour animer le paysage de Servandoni en lui donnant un air de rusticité plus ingénu. Mais au lieu de rester à la place qu’on lui avait assignée, c’est-à-dire à la queue des derniers moutons, comme étant la plus curieuse et la plus belle pièce de la bucolique, voilà cette génisse qui perd la tête comme une grosse sotte, qui se met à bousculer les brebis avec leurs agneaux et qui s’en vient donner à front cornu dans cette glace sans tain, qu’elle fait sauter en mille éclats. Les moutons la suivent et se précipitent par la même brèche ; le chien s’en mêle et se met à les pourchasser dans toute la longueur et dans tous les coins de cette galerie dorée et jusque sous nos belles robes, où les moutons venaient s’engouffrer, tandis que le chien s’introduisait brutalement entre nous et les moutons pour les rassembler et les réunir en bercail. Il aboyait comme un diable, et la génisse allait toujours galopant d’un bout à l’autre de la galerie, en renversant ou bouleversant tout ce qui se trouvait à sa portée. Toutes les femmes étaient grimpées sur les banquettes, à l’exception de M. de la Vallière et moi, qui restâmes courageusement à nos places et qui n’eûmes pas à nous en repentir, car cette effarée ne nous approcha pas. Je me souviens que Madame et sa sœur en riaient à se trouver