Page:Créquy - Souvenirs, tome 4.djvu/132

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
128
SOUVENIRS

les belles inventions de ce temps-ci ! Vous me dites toujours que la monarchie périra par les finances, et moi je vous dis que les financiers perdront la cuisine française. Qui vivra verra.

Il est assez connu que nous étions, le Maréchal et moi, les deux personnes de notre temps qui mangeaient le moins et chez lesquelles on mangeait le plus. J’avais hérité d’un trésor de traditions admirables, et j’ai toujours tenu fortement à mes traditions. On est généralement persuadé que tous les ragoûts fins sont d’invention nouvelle, et rien n’est moins vrai pourtant. On voit dans les dispensaires du XVIe siècle qu’on servait à la table de François Ier des cervelles de faisan, des langues de carpe et des foies de lotte étuvés au vin d’Espagne. Notre excellent potage à la Reine (à la purée de blanc de poularde et d’avelines) était la soupe de tous les jeudis à la cour des Valois, et son nom lui vient de la prédilection de la Reine Marguerite. Je n’ai jamais repoussé les innovations heureuses ; mais, à l’exception des bisques à la purée de petits crabes, des timballes aux œufs de caille, et des glaces au pain bis, tranchées de glace au beurre frais, je vous puis assurer qu’on n’a rien inventé qui fût satisfaisant ni distingué, depuis soixante et quinze ans que je mange et que je fais manger les autres. C’est principalement à dater de la mort de Louis XV que le véritable savoir gastronomique, et par conséquent la science du cuisinier, s’en sont allés dégringolant.

Quand le Duc de Nivernais était obligé de changer ses chefs de cuisine, ou lorsqu’on avait appris