Page:Créquy - Souvenirs, tome 4.djvu/133

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
129
DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

quelque nouveauté qui nous paraissait admissible, il avait la patience et la conscience de s’en faire servir et d’en goûter huit jours de suite, afin de conduire et faire aboutir la chose au point de sa perfection. Il avait le palais tellement bien exercé qu’il pouvait distinguer si le blanc d’une aile de volaille était provenu du côté droit (c’est-à-dire du côté du fiel), et j’en ai vu l’expérience ; il se moquait de votre grand-père qui ne s’entendait à rien de ce qui se laisse manger, et qui lui disait à souper chez nous, en lui proposant de l’esturgeon : — Voulez-vous de cet émincé de veau ? il est bon, mais il a comme un goût de poisson, je vous en préviens. Le Richelieu se prit à me dire : — Que je serais honteux et malheureux si j’étais la femme d’un homme comme ça !

Le Président Hénault rapportait sur M. de Richelieu une historiette qui lui semblait fort intéressante, et qui vous prouvera du moins quelle était son aptitude et son expérience culinaire, comme disait le Président. C’était à la guerre d’Hanovre, où le pays se trouvait dévasté tout autour de l’armée française à plus de vingt lieues à la ronde. On avait fait prisonniers tous les Princes et toutes les Princesses d’Ostfrise au nombre de vingt-cinq personnes, auxquelles il est bon d’ajouter encore une certaine quantité de filles d’honneur et de chambellans. Le Maréchal de Richelieu avait résolu de leur donner la clé des champs, mais avant de lâcher prise il imagina de leur donner à souper, ce qui mit ses officiers de bouche au désespoir.

— Qu’est-ce que vous avez à la cantine ?