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Page:Créquy - Souvenirs, tome 4.djvu/168

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SOUVENIRS

doutait le moins, c’est que la Duchesse de Gramont était la plus malheureuse personne de la terre ; et la chose du monde la plus curieuse à bien observer, c’était l’incapacité, l’inutilité, le néant de cette sorte de vertu qu’elle avait, vertu païenne, et dont la bonne compagnie de son temps ne lui voulait tenir aucun compte, à raison de ce qu’elle ne présentait aucune garantie, parce qu’elle n’était établie ni appuyée sur aucun principe religieux. Je vous assure que ce débat perpétuel entre son orgueil et son humiliation, entre son innocence et son malheur, on pourrait dire, était une étrange révélation de la perversité du siècle et de l’insanité des jugemens humains.

Pour en revenir à M. le Dauphin je vous dirai qu’il n’aimait et n’estimait guère le seigneur châtelain de Mouchy, chez lequel il s’était fait annoncer comme un chasseur égaré dans la campagne et attiré par la lumière qui jaillissait par toutes les ouvertures du château, où l’on faisait une orgie qui durait depuis quarante-huit heures[1]. M. de  Gramont l’envoya recevoir par un maître d’hôtel, qui le conduisit dans un appartement écarté, mais le Duc de Gramont ne sortit pas de la salle de banquet, et ne s’en dérangea pas autrement. Survint

  1. Antoine-Charles, Duc de Gramont, Pair de France et Prince de Bidoche en Navarre, Comte de Guiche, d’Aster et de Louvigny, Baron de Lesparre et Seigneur du duché d’Aumières. Marié en 1764 à Béatrix de Choiseul-Stainville, Chanoinesse, Comtesse et Coadjutrice de l’abbaye royale et chapitrale de Bouxières-les-Dames. Le Duc de Gramont vient de se remarier à l’âge de 84 ans.
    (Note de l’Auteur, en 1801.)