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SOUVENIRS

bot avait toujours de curieuses choses à dire sur le fameux Chevalier de Gramont, comme aussi sur les Hamilton, frères de sa femme, et particulièrement sur le Comte Antoine, rédacteur des Mémoires du Chevalier, ou leur auteur, pour mieux dire ; et quand elle se rencontrait chez mon père avec le Vicomte d’Aster, ils s’en faisaient tous les deux de bonnes histoires, avec des battues en rappel de mémoire, où tout le monde prenait plaisir. Il y avait toujours quelque chose d’étrangement impertinent et d’archigascon dans toutes leurs anecdotes sur ledit Chevalier de Gramont, qui se terminaient ordinairement par une escroquerie, ce qui nous scandalisait fortement, vu que ces sortes de violences et de filouteries étaient passées de mode avec la Fronde. La fleur de ses gasconnades était la suivante, et je ne sais pourquoi son beau-frère Hamilton ne l’a pas enregistrée dans ses Mémoires. Il avait reçu l’ordre de traverser je ne sais quelle rivière, et n’en finissait pas, en faisant piaffer sa monture au milieu de cent bouillons d’écume. Le grand Condé, qui s’en impatientait, se mit à lui crier : — Monsieur, n’êtes-vous pas Gascon ? — Oui, Monseigneur, et grâce à Dieu ! répondit l’autre en se retournant en selle et saluant profondément M. le prince ; mais malheureusement mon cheval ne l’est pas. — C’était, nous disait le Vicomte d’Aster, un cheval normand croisé du limousin, sauf votre respect, et, de plus, il était natif de Chantilly : n’est pas Gascon qui veut !

Une chose que je n’oublierai jamais, c’est qu’ayant passé deux heures auprès du lit de Madame la Dau-