Aller au contenu

Page:Créquy - Souvenirs, tome 4.djvu/186

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
182
SOUVENIRS

un autre genre ; et vous aurez pu remarquer que je ne vous parle jamais galanteries qu’à mon corps défendant.

M. de Létorières avait fini par inspirer un sentiment de bienveillance et d’intérêt si général, que le public entrait quelquefois en fantaisie de l’applaudir quand il arrivait au spectacle, et c’est là ce qui s’est passé devant moi, le mardi saint de l’année 1772, au concert spirituel. Il était convalescent d’un beau coup d’épée qu’il avait reçu du Comte de Melun. Quand il s’entendit applaudir, il s’éleva dans sa loge, et s’avança pour regarder des deux côtés de la salle avec un air de surprise, et celui de ne pas supposer qu’on pût le traiter comme un prince du sang royal ou comme un comédien, ce qui fut trouvé d’un goût exquis, comme tout ce qu’il faisait. Il avait un habit moiré couleur de paille, avec des paremens en étoffe glacée d’or et de gros vert ; l’aiguillette or et vert sur l’épaule, avec une agrafe d’émeraudes à son ruban de Steinkerque, et ses garnitures de grands et petits boutons en prime d’opale enrichis de brillans, comme aussi la monture assortie pour son épée ; enfin, sa coiffure était à deux touffes de cheveux ondulés et poudrés de couleur écrue, qui lui tombaient légèrement et gracieusement sur l’encolure. Ses yeux, qui scintillaient dans l’humide radical, avaient mille fois plus d’éclat que ses joyaux : je fus obligée de convenir que je n’avais rien vu de plus charmant.

Écoutez maintenant la principale et dernière aventure de ce beau Létorières. Vous verrez dans quelques mémoire de son temps qu’il est mort de la petite