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SOUVENIRS

quoi. Mme de Blot, qui vient toucher barre à Ferney toutes les fois qu’elle va prendre ces eaux de Savoie où Tronchin voudrait envoyer ma femme. Quelle idée, quand il y a tant d’eau minérale dans notre pays ! Cette ineffable et précieuse personne était à Ferney, mille fois plus qu’au Palais-Royal encore, superlificoquentieusement renchérie. On ne comprenait rien du tout à son gazouillement, qui participait du serin de Canarie et de la bécassine, mais principalement du canarien jaune. La santé n’a jamais été le premier des biens pour elle, c’est la finesse de la taille. Elle a fini par se décider à prendre le grand parti de manger pour vivre, mais l’estomac s’y refuse par habitude, la jaunisse est en permanence et la consomption va son train. Voltaire se confondait auprès d’elle en amabilités de toute nature ; et pour les petites mines et le petit langage de petite coquetterie, je vous assure qu’il n’était guère moins étrange que Mme de Blot. Il avait cru que c’était devenu d’usage à la cour et à Paris, mais je n’ai pas à me reprocher de l’avoir entretenu dans son illusion d’optique. Vous savez sa manie pour corriger la langue française, et son engouement pour les expressions d’impasse, de mois d’Auguste, etc., qu’il forgées. Ceci causait des transports d’enthousiasme à Mme de Blot ; et, comme on parlait de ces ouragans qui ont rugi et qui ont bouleversé tout ce pays pendant la première quinzaine d’août dernier ( il faut vous dire que le reste du mois a été superbe), je dis, pour dire quelque chose sur ce mois d’août :

 
« Il n’eût pas eu le nom d’Auguste
Sans cet empire heureux et juste
Qui fit oublier ses fureurs. »

Voila M. de Voltaire qui me saute au col en s’écriant : — Generose puer ! Il est fils de sa mère ! il est spirituel,