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Page:Créquy - Souvenirs, tome 4.djvu/73

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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

aimable, adorable !… et je crus qu’il allait m’étouffer, tant il m’étreignait dans ses bras comme ceux d’un squelette en fer. Je lui dis : — Monsieur, vous êtes pour moi d’une extrême indulgence et d’une parfaite bonté ; mais ne continuez pas à dire que je ressemble à ma mère, elle s’en fâcherait. Elle a dit à son bon ami le Cardinal de Fleury que je ne manquais peut-être pas d’esprit, mais que je n’étais pas cet enfant qu’elle avait eu dans la tête. — Oh ! c’est bien d’elle ! et je crois l’entendre en vous écoutant. Oserais-je vous demander, poursuivit-il avec un air sensible et sérieux, si Madame votre mère a toujours peur d’être déshonorée par un Abbé de Breteuil ? Et là-dessus Voltaire m’a dit une histoire que vous ne m’aviez jamais contée et que j’ai trouvée si curieusement divertissante que j’en ris encore ; il prétendait aussi que vous aviez dit une autre fois en soupirant d’un air affligé : — Je suis trop loin de Dieu pour que je puisse l’aimer par-dessus toute chose, et je vois mon prochain de trop près pour pouvoir l’aimer autant que moi-même[1]. Il faut avoir l’âge de Voltaire et vous avoir connue petite fille pour vous avoir ouï dire des choses aussi mal sonnantes aux oreilles pieuses. — Monsieur le Marquis, n’allez pas croire qu’elle ait toujours été en âge de discrétion : je l’ai vue pas plus grande que cela, disait-il en montrant le bout de son petit doigt. Après dîner, le seigneur

  1. Il n’arrive jamais que Mme de Créquy parle de ses traits d’esprit et cite ses propres bons mots lorsqu’ils n’entrent pas naturellement dans le cadre de son récit. Cette exclamation sur l’amour de Dieu et du prochain est rapportée dans la correspondance de Grimm, où l’on trouve également plusieurs autres citations de Mme de Créquy, et notamment un fragment d’une de ses lettres à la Maréchale de Noailles. Voici une réponse de cette dame au Roi Louis XV, réponse dont elle ne parle pas