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SOUVENIRS DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

que cette femme, un peu maniaque, était pour le mauvais air et les maladies cutanées dans un état d’effroi continuel et d’angoisse mortelle.

Mme et M. Necker imaginèrent donc, pour faire pièce à la veuve de leur bienfaiteur, de fonder et de faire élever un asile uniquement destiné pour des scrofuleux, des dartreux, des galeux, des teigneux et des lépreux (si l’on pouvait en trouver) ; et c’était précisément sur un terrain qui joignait et dominait les jardins de l’hôtel Thélusson, dont la magnificence et l’originalité les offusquaient d’autant plus que tout le monde en parlait et que, d’une chose à l’autre, on arrivait naturellement de l’hôtel à sa propriétaire et de la vieille dame à l’ancien caissier de son mari, lequel était exclus de son beau salon. (C’était le commis qui n’était pas admis.)

Pour s’abriter contre la philanthropie de ces deux Genevois, Mme Thélusson fut obligée d’acheter les mêmes terrains, qui restèrent long-temps en friche, et sur lesquels on a fini par édifier le côté septen-

    diose et de plus riant. C’était pour les dessinateurs et les architectes un sujet d’études ; c’était pour les amateurs un but de promenade, et j’en ai connu qui faisaient le voyage ou qui se dérangeaient de leur chemin pour avoir le plaisir de regarder encore une fois le grand cintre et les rochers, les colonnes et les ormeaux de l’hôtel Thélusson. C’est un abominable tailleur, appelé Berchut, qui l’a fait démolir pour y bâtir des maisons de plâtre, et tous les Parisiens de cœur et d’âme en ont gémi. C’était la plus élégante habitation de cette capitale, et c’était le seul monument du quartier d’Antin. La destruction de ce charmant édifice est encore un bienfait de l’industrialisme.

    (Note de l’Éditeur.)