Page:Créquy - Souvenirs, tome 5.djvu/194

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
190
SOUVENIRS

la foule un malheureux homme avec les cheveux hérissés, les yeux hagards et les mains attachées derrière le dos, qu’on accablait de malédictions atroces et qu’on assommait d’horribles coups ; il revint auprès de son maître, et son rapport était alarmant. Les deux constitutionnels se concertèrent ; le pillage pouvait être la suite de la violence, et M. de Talleyrand finit par se décider à l’administration de l’exorcisme. Il ne savait comment s’y prendre, mais l’inexpérience ne le fit pas tomber dans l’imprévoyance, et il ordonna de conduire le sorcier dans son cabinet. — Dans la chapelle de l’évêché ! s’écria le peuple. — Dans la chapelle ! Dans la chapelle !

Ceci n’arrangeait pas du tout le pontife de juillet, parce que de la chapelle il avait fait faire un garde-meubles, et qu’elle était encombrée par des bois de lit, des transparens nationaux, des morceaux de guirlandes civiques, des matelas, des drapeaux tricolores et des tables de nuit. Il envoya l’abbé Goutte en négociation, mais le peuple lui députa douze ou quinze représentans qui triomphèrent de sa résistance ; on leur ouvrit la ci-devant chapelle, et l’on convint réciproquement que la cérémonie ne pourrait avoir lieu que sur le perron de l’évêché. M. de Talleyrand se traîna sur le pavé du grand vestibule appuyé sur sa crosse (on aurait dit un de ces diables affublés d’ornemens épiscopaux, comme on en voit dans les vieilles images anabaptistes) ; on fait avancer le sorcier, et le patriarche des intrus commence par marmotter du latin de rencontre. — Le bénitier ? où est le bénitier ? dit-il à l’abbé Goutte. Hélas ? mon Dieu, il ne fut pas possible de trouver un bénitier