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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

sincérité, l’esprit de justice et la bonne foi, faisaient grand’faute à celui dont je me souviens : et je dois remarquer ici qu’en dépit de l’autorité que s’arrogeait M. de Voltaire, ses paroles d’approbation, de louange ou de réprobation ne pouvaient jamais ni persuader, ni toucher sensiblement qui que ce fût, à raison de sa légèreté quinteuse et de son manque de franchise.

La physionomie de M. Delille n’est pas moins originale et moins agréable que son genre d’esprit. Mme  Le Couteulx du Molay disait de lui qu’il avait tant de mouvement dans la figure qu’il ne lui laissait pas le temps de paraître laide ; mais c’est, à mon avis, une de ces phrases où l’on trouve plus de mouvement que de jugement, car le visage de M. Delille a toujours, dans le repos, une expression de bienveillance exquise ou d’intelligence admirable.

Les ouvrages de l’Abbé Delille n’ont aucunement le caractère ou la physionomie de sa personne et de sa conversation ; c’est un côté par lequel il ressemble à Mme  de Genlis, et c’est le seul rapport qu’il ait avec elle. Il m’avait été recommandé par le Vicomte de Vintimille, au sujet du refus qu’on aurait fait de le laisser parvenir à l’Académie française, et ceci parce qu’il était trop jeune, avait dit le secrétaire perpétuel ; je pris la liberté d’en parler directement au Roi, qui me répondit que c’était une invention très impertinente, et qu’il n’avait jamais rien dit de semblable. — Il a si bien traduit Virgile, me dit S. M., qu’il me fait l’effet d’être de l’ancienne Rome ; il a deux mille ans, à mon avis,