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SOUVENIRS

se trouver à portée de rendre des soins à Mme  de Turenne, (Voilà ce que Mme  de Trans écrivait à son mari pour le faire patienter). Ce fut une invasion véritable ; mais comme il aurait été cruellement inhumain de vouloir séparer la Duchesse de Lesparre et la Comtesse de Spinola (par exemple) de la Princesse de Turenne, qui ne voulait pas s’éloigner de la Princesse d’Hénin, laquelle ne pouvait pas quitter sa tendre mère, et comme il y eut aussi deux ou trois bonnes amies de Mme  de Tessé qui se mirent à s’enthousiasmer et s’inquiéter pour ma charmante nièce, on établit ces douze ou quinze femmes sensibles dans une galerie de tableaux où elles couchaient sur des bergères et des sophas, des coussins, des tapis sur des tables, et toute espèce de choses, excepté des matelas, car elles ne voulaient pas entendre parler de matelas : pour lui mieux démontrer leur oubli d’elles-mêmes, et la sincérité de leur dévouement !

Les parens, les amis, les maris, les valets, et peut-être bien quelques galans (je n’ai répondu que de six personnes), ne manquèrent pas d’affluer dans cette maison dont toutes les portes étaient grand’ouvertes, et où tout ceci formait une cohue nompareille ! On passait les nuits à jouer dans ce long dortoir où les plus belles et les plus grandes Dames étaient rangées sur des malles, des coffres, des tapis roulés, et même sur des meubles de garde-robe recouverts de leurs sarreaux de toile de Perse. On n’avait rien vu jusque-là d’aussi prodigieusement simple et naturel ! il était de rigueur et d’obligation de ne s’y parler qu’à l’oreille, et c’était un luxe de