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HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE GRECQUE

hauts faits que leurs légendes attribuaient à leurs ancêtres, à Agamemnon et à ses compagnons. Ainsi les vieux chants qui commémoraient les exploits de ces héros reprirent tout à coup une actualité inattendue. Ils sortirent du passé pour idéaliser les choses du jour. Ils servirent à satisfaire et à exalter les sentiments dont les cœurs étaient pleins.

2. Période éolienne ; période ionienne ; Smyrne, Chios. — Cela explique pourquoi le chant épique dut se développer d’abord dans la partie éolienne de l’Asie Mineure, Nulle part les forces morales qui le favorisaient n’étaient aussi puissantes. D’ailleurs, les aèdes, attachés dans la Grèce propre aux princes achéens, avaient dû les suivre quand ils émigrèrent. Avec eux, s’il est permis de parler ici le langage de la légende, la tête et la lyre d’Orphée avaient abordé à Lesbos. De cette période éolienne du développement épique, nous ne savons rien. L’épopée grecque, devenue bientôt ionienne, a oublié ses propres origines. Mais ces origines méconnues sont restées imprimées en elle d’une manière ineffaçable. Non seulement, dans sa forme nouvelle, elle a conservé des traces du dialecte dont elle usait déjà sans doute dans la Grèce propre et dont elle continua d’user dans l’Éolie asiatique, mais, en outre, son œuvre la plus ancienne et la plus belle, l’Iliade, est, dans son fond, un chant éolien, car elle célèbre surtout Achille, de race thessalienne, et les ancêtres des chefs qui avaient conduit l’émigration éolienne.

Toutefois, c’est dans la partie ionienne de l’Asie Mineure que l’épopée semble s’être vraiment développée. Le langage qu’elle parle dans l’Iliade et dans l’Odyssée est dans l’ensemble un langage ionien[1] ; les mœurs même, la façon de penser et de sentir y ont une couleur ionienne ; et enfin d’importants éléments de tradition ionienne sont intime-

  1. Sur la langue homérique et les divers éléments dont elle se compose, consulter spécialement les prolégomènes de Christ, Iliadis carmina, Leipzig, 1884.