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DÉBUTS DE L’ÉPOPÉE HÉROÏQUE : HOMÈRE

ment associés dans ces deux poèmes aux éléments de tradition éolienne. Tout cela ne s’explique bien que par une seule hypothèse. Il faut admettre que les vieux chants épiques, après avoir pris un rapide et brillant développement en Éolie à la suite de l’émigration, ont passé de là en Ionie, et que le génie ionien, s’en emparant, en a tiré l’épopée proprement dite.

Cette vue est d’ailleurs confirmée indirectement par toutes les traditions antiques. Celles-ci sont à peu près unanimes à assigner pour patrie à Homère, c’est-à-dire au plus grand représentant de l’épopée primitive, l’Ionie. Il est vrai qu’elles hésitent entre plusieurs villes ioniennes ; mais ce sont là pour nous divergences sans importance. Et, en réalité, cette hésitation est surtout apparente. Car, si l’on écarte les combinaisons où la fantaisie a trop de part, il est aisé de reconnaître que la tradition nous oriente nettement vers deux points, qui sont Smyrne et Chios. Or Smyrne, éolienne d’origine, devenue ensuite ionienne, est justement l’endroit où a dû s’opérer le plus aisément cette fusion des éléments éoliens et ioniens dont nous venons de signaler la trace ; et l’île de Chios, située en son voisinage, peuplée d’Ioniens, mais en relations constantes avec l’Éolie, ne se prêtait pas moins à cette appropriation ionienne d’un art éolien.

Si l’Ionie a eu ce privilège de recueillir ce qui avait été préparé dès longtemps et de donner à la Grèce la première œuvre où son génie s’est manifesté avec éclat, elle le dut à certains avantages naturels. C’était la partie la plus riche de la côte d’Asie. Les rives de ses fleuves, ses terrains d’alluvion, ses coteaux ensoleillés se prêtaient à de faciles cultures. Puis, l’occupation même du sol y fut moins sanglante, malgré les guerres avec la Lydie. On y connut plus qu’ailleurs la richesse et la paix, favorables à un art qui devait s’épanouir naturellement dans les grandes demeures, au milieu des festins. Enfin et surtout, les