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HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE GRECQUE

tous les membres de ces familles aient exercé le même art. Mais, parmi tous ceux qui se rattachaient au même ancêtre, il n’est pas surprenant qu’en un temps où les habitudes héréditaires gardaient encore toute leur force, il ait pu se rencontrer, à chaque génération, un ou plusieurs hommes qui se vouaient à une profession déjà illustrée par leurs pères. Un tel fait devait, on le comprend, favoriser singulièrement la conservation, et aussi le développement, de certaines grandes compositions épiques.

Dans quelles conditions s’opérait alors la transmission d’une œuvre poétique, nous ne pouvons plus aujourd’hui que le conjecturer. La notion du respect scrupuleux d’un texte, considéré comme la propriété de son auteur, semble avoir été totalement étrangère aux hommes de ce temps. Un poème se conservait uniquement parce qu’il plaisait au public, et parce que les aèdes, visant toujours au succès par la nécessité même de leur profession, avaient intérêt à le reproduire, tant qu’il était demandé. Mais, en le conservant, ils avaient intérêt aussi à le rajeunir et à l’étendre. De même que, plus tard, certains sujets tragiques furent repris indéfiniment et sans cesse rajeunis, de même alors les sujets épiques qui avaient plu. Seulement, une tragédie, une fois faite, ne pouvait guère être étendue arbitrairement ; il fallait la refaire pour la rajeunir. Au contraire, les groupes de chants épiques que nous avons définis se prêtaient, par leur nature même, à toutes sortes de développements. Rien de plus facile que d’imaginer des scènes secondaires fondées sur les situations déjà données et de les greffer à volonté sur les scènes primaires. La Dolonie (XIe chant de l’Iliade) nous offre un exemple manifeste de ce genre de création. Il n’est pas douteux, en fait, que la plupart des chants épiques primitifs n’aient été ainsi remaniés, étendus et grossis, pendant la période où l’invention épique fut en pleine activité.