Page:D'Hervey de Saint-Denys - Les Rêves et les moyens de les diriger, 1867.djvu/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

çant de manier, comme leurs grands frères, la bêche pesante et le bruyant fléau. Alors, je me reporte au temps où j’aimais, moi aussi, à m’emparer des outils et des arrosoirs de notre jardinier, bien lourds pour mes bras de dix années. Et me voilà perdu dans le flot confus des souvenirs d’enfance qui m’entraînera bien loin à son tour.

Ajoutez les images, et cette rêvasserie sera le songe lui-même. Les images ? mais n’avaient-elles point déjà commencé à se montrer plus ou moins précises, quand le bruit du train qui s’arrête m’a tout à coup tiré de ma somnolence ou de mon sommeil ?

Un philosophe de Genève, Georges Le Sage, faillit, dit-on, devenir fou, en s’efforçant inutilement de surprendre dans son propre esprit la transition de la veille au sommeil, ou pour mieux dire au songe. Il avait dû lui arriver cependant d’éprouver, en poste ou en diligence, ce que je disais tout à l’heure avoir été observé en chemin de fer par chacun de nous. Son tort fut donc tout simplement de n’avoir pas compris que cette rêvasserie, c’était le songe lui-même à son début ; et qu’en se torturant l’esprit par une préoccupation incessante, il arrêtait précisément ce cours naturel et spontané des idées, sans lequel le passage de la veille au sommeil ne peut s’accomplir.