Au moment où j’étais sorti des enceintes ténébreuses qui avaient tant contristé ma vue et mon esprit, mes regards avaient été charmés par une douce teinte de saphir oriental qui se confondait avec un air pur et serein, jusqu’à la partie la plus haute de l’atmosphère. Cette belle planète, qui conseille l’amour, faisait sourire l’orient, en effaçant par sa plus vive lumière celle du signe des Poissons dont elle était escortée. Je me tournai à droite pour considérer l’autre pôle ; j’aperçus quatre étoiles qui ne furent jamais observées que par les premiers habitants de la terre : le ciel paraissait se réjouir de leur éclat. Ô contrée du nord, toi qui ne peux contempler ces astres éblouissants, que je te plains dans ton veuvage ! J’abaissai les yeux, je me tournai vers la partie du pôle opposé où le char venait de disparaître, et je vis près de moi un vieillard solitaire dont la noble figure inspirait autant de vénération qu’on en doit à un père. Il portait une longue barbe à moitié blanchie ; ses cheveux, qui offraient également l’empreinte d’un grand âge, tombaient par flocons sur sa poitrine : les rayons des quatre étoiles sacrées réfléchissaient sur sa figure un éclat semblable à celui du soleil.
« Qui êtes-vous, vous qui, marchant contre le cours du fleuve aveugle, avez fui la prison éternelle ? dit le vieillard en agitant sa barbe vénérable. Qui vous a guidés ? Qui a osé porter devant vous un flambeau téméraire pour vous aider à sortir de la profonde nuit dans laquelle est plongée à jamais la vallée de douleurs ? Les lois de l’abîme sont-elles ainsi rompues ? Le ciel a-t-il tellement changé ses augustes décrets, que, vous autres, âmes condamnées, vous puissiez approcher de mes grottes ? » Alors mon guide me prit la main, et par ses signes, ses gestes et ses paroles, m’invitait à saluer le vieillard et à m’agenouiller devant lui. Ensuite Virgile répondit : « Je ne suis point venu ici de moi-même ; une femme descendue du ciel m’a prié de prendre celui-ci sous ma protection : puisque tu désires que nous expliquions plus clairement qui nous sommes, ma volonté ne peut contrarier la tienne. Mon compagnon n’a jamais vu sa dernière soirée ; mais ses déréglements l’avaient tellement rendue prochaine, qu’il ne lui restait plus qu’un très-court espace à parcourir dans la carrière de la vie. Comme je te l’ai dit, je fus envoyé pour le délivrer, et il n’était pas d’autre chemin que celui où je me suis engagé. Je lui ai montré toute la race coupable, maintenant je veux lui faire connaître les esprits qui se purifient sous ta loi. Il serait trop long de te raconter tout notre voyage. Du haut du ciel, une vertu protectrice m’aide à le conduire pour te voir et t’entendre.