Page:Dante - La Divine Comédie (trad. Artaud de Montor).djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
63
CHANT DIX-SEPTIÈME

couvraient son dos, sa poitrine et ses flancs : la couleur de ces nœuds surpassait en éclat celle des ouvrages d’Arachné, et des étoffes séparées par les Turcs et les Tartares. De même qu’on voit sur le rivage un esquif à moitié baigné par les flots, là où le castor s’exerce à faire sa guerre accoutumée, le long des bords habités par les Germains gloutons, de même nous voyions la bête cruelle qui s’était abattue sur la rive de pierre dont est entouré le champ de l’arène brûlante.

La queue s’agitait dans l’air, en repliant la pointe fourchue qui, comme dans le hideux scorpion, en armait l’extrémité. Mon guide me dit : « Il faut que nous allions vers le point où cette bête maudite est venue se poser. »

Nous descendîmes donc à droite, en nous détournant de quelques pas, pour éviter le sable ardent ; et, quand nous fûmes arrivés au but marqué par mon maître, nous aperçûmes une grande quantité d’ombres sur le bord que nous venions d’atteindre. « Afin que tu connaissses exactement ce cercle, me dit mon guide, approche-toi d’elles, et vois quel est leur sort : mais que tes entretiens ne soient pas trop longs. Pendant que tu seras dans leur compagnie, je prierai ce monstre de nous recevoir sur ses fortes épaules. »

Je m’avançai dons sur le bord du septième cercle, où gisaient ces races dévorées par la douleur qui s’élançait de leurs yeux : elles cherchaient, avec le secours de leurs mains, à écarter les flammes ou les vapeurs. C’est ainsi que, dans les chaleurs de l’été, les chiens impatients se défendent, ou du pied ou du museau, contre les puces, les mouches et les taons qui les déchirent.

Je regardai plusieurs de ces ombres que le feu tourmente. Je ne reconnus pas leurs traits ; mais j’observai que plusieurs d’elles portaient suspendue au cou une bourse marquée de certaines couleurs, et dont il semblait que leur regard aimait à se repaître. En les considérant attentivement, je distinguai sur la poitrine de la première de ces ombres une bourse jaune, qui laissait apercevoir un lion d’azur.

Plus loin, je vis, sur une autre bourse d’une couleur pourprée, une oie plus blanche que le lait. Une âme qui présentait une grosse truie d’azur sur une bourse blanche, me dit : « Que fais-tu donc dans cette fosse ? Retire-toi, et puisque tu es encore vivant, rapporte sur la terre que Vitaliano, qui habite près de mon palais, doit s’asseoir ici à ma gauche : Padoue est ma patrie ; mais ces Florentins qui m’environnent,