Page:Daudet - Tartarin sur les Alpes, 1901.djvu/114

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Tartarin frémissant jure qu’il n’y est pour rien.

« Nous allons bien voir ! » Et l’on introduit le ténor italien, le policier que les nihilistes avaient accroché à la branche d’un chêne au Brünig, mais que des bûcherons ont sauvé miraculeusement.

Le mouchard regarde Tartarin : « Ce n’est pas lui ! » les délégués : « Ni ceux-là non plus… On s’est trompé.

Le préfet, furieux, à Tartarin : « Mais, alors, qu’est-ce que vous faites ici ?

— C’est ce que je me demande,  !… » répond le président avec l’aplomb de l’innocence.

Après une courte explication, les alpinistes de Tarascon, rendus à la liberté, s’éloignent du château de Chillon dont nul n’a ressenti plus fort qu’eux la mélancolie oppressante et romantique. Ils s’arrêtent à la pension Müller pour prendre les bagages, la bannière, payer le déjeuner de la veille qu’ils n’ont pas eu le temps de manger, puis filent vers Genève par le train. Il pleut. À travers les vitres ruisselantes se lisent des noms de stations d’aristocratique villégiature, Clarens, Vevey, Lausanne ; les chalets rouges, les jardinets d’arbustes rares passent sous un voile humide où s’égouttent les branches, les clochetons des toits, les terrasses des hôtels.

Installés dans un petit coin du long wagon suisse, deux banquettes se faisant face, les alpinistes ont la mine défaite et déconfite. Bravida, très aigre, se plaint de douleurs et, tout le temps, demande à Tartarin avec une ironie féroce : « Eh  ! vous l’avez vu, le cachot de Bonnivard… Vous vouliez tant le voir… Je crois que vous l’avez vu, qué ? » Excourbaniès, aphone, pour la première fois, regarde piteusement le lac qui les escorte aux portières : « En voilà de l’eau, Boudiou !… après ça, je ne prends plus de bain de ma vie… »

Abruti d’une épouvante qui dure encore, Pascalon, la bannière entre ses jambes, se dissimule derrière, regardant à droite et à gauche comme un lièvre, crainte qu’on le rattrape… Et Tartarin ?… Oh ! lui, toujours digne et calme, il se délecte en lisant des journaux du Midi, un paquet de journaux expédiée à la pension Müller et qui, tous, reproduisent d’après le Forum le récit de son ascension, celui qu’il a dicté, mais agrandi, enjolivé d’éloges mirifiques. Tout à coup le héros pousse un cri, un cri formidable qui roule jusqu’au