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tendent même que dans cette guerre, les Français et les Anglais étaient de simples auxiliaires ou plutôt les mercenaires du Sultan, qui disposait d’eux comme de ses propres troupes. De pareilles idées suffisent pour exciter le mépris de ces brutes à tête d’homme. M. Delaporte, consul de France au Caire, me dit un jour une chose qui m’est revenue souvent depuis les événements de Djeddah : « Pour venir à bout de l’islamisme, il faut s’emparer des villes saintes la Mecque et Médine ; la religion du Koran ne survivrait pas à un coup si terrible, et la civilisation européenne serait sauvée des dangers dont la menacent incessamment ces fourmilières de barbares qui peuplent l’Asie, l’Afrique et une partie de l’Europe. L’islamisme est la lèpre du monde : gare qu’elle ne s’étende encore ! »

En attendant, je m’achète des pantoufles rouges et jaunes, un koufie, un hézam, un burnous, un tarbouch et d’autres articles d’habillement oriental. Je mange des dattes fraîches ou sèches, des bananes délicieuses, du poisson du Nil et de la mer Rouge, du filet de gazelle et d’autres friandises indigènes. Nous prenons un drogman (ce mot dérive de drogue, je pense. Qu’en pense l’Académie française ? cette étymologie est de sa force) ; nous prenons un drogman qui s’appelle Mohammed et qui possède deux femmes et douze costumes de rechange tout différents les uns des autres. Il se présente chaque jour à nous dans un nouvel accoutrement ; c’est très-beau à voir, mais c’est très-cher. Mohammed trouve qu’il n’a pas assez de femmes ni assez de costumes, et il est en train d’augmenter le nombre de ceux-ci et de celles-là. Il aimerait assez renverser les nombres, et avoir deux costumes et douze femmes. Moi, j’ai toujours trouvé que c’était déjà trop d’une. Mohammed se tient debout derrière nos siéges quand nous dînons, et attentif au moindre geste il prévient nos désirs, qui se multiplient en raison de la facilité que nous avons de les satisfaire. Il nous sert d’interprète, et porte une lanterne devant nous quand nous sortons le soir. Mais cela